Le choix du jeudi de Véronique


 Aujourd'hui, mon choix se place sous le signe du devoir mémoriel. Car 75 ans après la libération des camps et la victoire des Alliés, il est de notre devoir de ne rien oublier.  

Si certains écrivains ont témoigné directement de leur vécu, Simone Weil dans "Une vie", Jorge Semprun dans "L'écriture ou la vie", Aharon Appelfeld en a pris le contre pied.

En effet, dans tous ses récits, publiés aux éditions de l'Olivier, et  traduits  pour la plupart par Valérie Zenatti, il se met dans la position du spectateur. Parce qu'il a été touché au plus profond de son être, il témoigne de sa vie de cette époque par le prisme de ses souvenirs, comme une lentille tout à la fois fidèle et déformante que l'enfance, normalement insouciante, peut apporter.

La Prüh


C'est ainsi que dans son dernier roman, "Mon père et ma mère", il remonte le temps jusqu'en 1938. Cet été là, le jeune garçon de 10 ans et 7 mois  est en vacances avec ses parents dans une isba, au bord de la Prüh. Ils  sont familiers du lieu qu'ils partagent depuis plusieurs années avec d'autres familles juives venues de la ville ; 

Il évoque son père, supportant difficilement les travers de ses voisins de villégiature, mais aimant chevaucher par delà la montagne ; sa mère, femme douce et tolérante, pratiquante à ses heures et choyant son enfant unique, disponible pour sa famille.

Autour d'eux, des hommes et des femmes, fuyant pour un été le quotidien de la ville où ils travaillent mais recréant sans le vouloir une micro société. Les portraits de chacun sont vus à hauteur de l'enfant qu'était l'auteur à cette époque, à la fois nets et flous.  Car que sont les souvenirs ? "Tout ce qu'[il]voyait ne ressemblait pas ce qu'[il] avait imaginé (p.9).

En arrière plan, il y a les gens du cru, ces paysans ukrainiens, bien contents de louer leurs isbas à des habitants de la ville, mais commençant difficilement à cacher  leur antisémitisme larvé.

Cet été là, le jeune garçon de 10 ans et 7 mois devient le  témoin des violences faites à sa communauté sans que les auteurs en  soient inquiétés ; cette haine gratuite, dont même les victimes semblent minimiser les conséquences sera désormais le quotidien de ces hommes qui n'ont que le tort que d'être nés juifs.

C'est un roman paradoxal car sous l'innocence de ce récit de souvenirs, c'est toute la violence des hommes qui ressort.

D'un côté, on se prend au jeu de cet été au "bord de l'eau" comme pouvait le chanter Jean Gabin dans le film de Julien Duvivier " La belle équipe" ; et de l'autre, on frissonne à l'idée qu'il s'agit du calme avant la tempête qui se déchainera sur l'Europe pendant 5 ans.

Du même auteur, vous pouvez également lire "Histoire d'une vie" et réécouter l'émission "Une oeuvre, une vie", qui lui était consacré en 2019 sur France culture.

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